Est-ce que ça ne serait pas la meilleure saison pour parler des supermarchés des petits, à la place des grandes surfaces ?
Quand j’étais petit, j’adorais jouer au marchand — ou “à la Marchande™” selon l’expression consacrée à l’époque, par métonymie avec le nom du jouet (et avec un petit biais sexiste of course) —, au restaurant , à la dînette…
J’avais même une petite maison avec une cuisinière dedans — l’objet pas la personne, un jour il faudra parler des métiers au féminin qui deviennent des noms d’objets, hein ! Parmi les accessoires, des ustensiles aux couleurs très pop, des fruits et légumes flashy, des pâtisseries en caoutchouc trop bien faites mais à l’odeur étrange (Si vous avez eu les mêmes, vous savez précisément de quelle odeur je parle) et surtout ça :
Dans ces mini emballages, il y avait aussi des reproductions fidèles des produits des “grands”. Du coup, en voulant vous montrer tout ça, je me suis posé plein de questions ! Du style : “Depuis quand on reproduit des emballages à échelle miniature ? Depuis quand on joue avec une “Marchande” ? Est-ce que les petites épiceries sont aussi vieilles que les épiceries ? Quelles sont les différents types graphiques des mini emballage ?” etc.
Pour répondre à tout ça, je me suis plongé dans plein de catalogues de jouets, dont ceux numérisés par la Bibliothèque Forney. Corpus génial qui couvre les catalogues de Grands Magasins des années 1860 à 1949. J’ai pu remonter très loin !
Je découvre alors dans un catalogue allemand, qu’une maisonnette ressemblant à une épicerie existe dès les années 1850. A l’époque, des contenant mais pas d’emballages. Imitation logique de la réalité, les épiceries, notamment Félix Potin (on y reviendra), commencent à peine à pré-emballer leurs produits.
Catalogue des Jouets Rau & Co, Bibliothèque Forney
Néanmoins, dans un trousseau de poupée en 1882, on peut voir ce qui ressemble à des conditionnements de produits cosmétiques. On trouve également très tôt des mini bouteilles dans les dinettes. J’ai également été très étonné de trouver en 1880 ce qui semble être une cuisinière, fourneaux pour les anciens, à échelle de l’enfant plutôt que de la poupée. Précurseurs de ce qui suivra. Ce modèle sera assez rare durant une bonne partie du XXe siècle.
Catalogues des Grand Magasin Pygmalion & Au Petit Saint Thomas, Bibliothèque Forney
Bref, les plus vieux catalogues avec des petites épiceries remontent à 1889. Elles sont parfois appelées “Parisienne” sans doute pour rappeler les sieurs Damoy et Potin très en vogue, ça fait moderne. Le monde des petites épiceries évolue parallèlement à celui des grands. Les années passent, le nombre de tiroirs se réduit au fur et à mesure que celui des produits conditionnés augmente.
Catalogue du Printemps, Bibliothèque Forney
Les emballages sont représentés au mieux avec leur contenu inscrit, au pire sans rien dessus. Mais pas de marques. Il faut attendre 1920, pour voir clairement une marque sur un mini-produit dans un catalogue. Il s’agit des sardines Amieux. Plus une preuve datée de leur existence qu’une date d’apparition, il est quasi certain que des reproductions d’emballages réels existaient avant.
Le graphisme évoluant et les gravures s’améliorant, ça doit être à ce moment-là qu’il est devenu possible de les représenter et ça ne va aller que croissant !
Catalogue des Galeries Lafayette, Bibliothèque Forney
Façades, petits meubles, intérieurs…
Les épiceries prennent différentes formes plus ou moins répandues selon les époques.
Petit tour d’horizon avec mes préférées.
1904 : L’épicerie Art Nouveau
Grands Magasins Pygmalion. Bibliothèque Forney
Elle est unique en son genre, alors que tous les grands magasins de l’époque proposaient des épiceries aux façades jolies certes, mais très chargées. Pygmalion mit en vente cette épicerie modeste mais résolument moderne avec son décor art nouveau. J’adore. Aucune autre ne lui ressemblera.
1909 : Fermeture
Galeries Lafayette. Bibliothèque Forney
J’admire ce sens du détail. Penser à faire un volet, c’est une chose, penser à y inscrire les jours de fermeture, c’est du génie !
1909 : Alimentation Générale
Le Bon Marché. Bibliothèque Forney
Si l’aspect général de ce magasin correspond totalement aux standards des jouets des années 10, avec cette banne (Réhabilitons ce mot), le nom Alimentation Générale est totalement atypique. La plupart des jouets jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale s’appellent « épicerie ». D’ailleurs, je ne croyais pas ce terme aussi vieux !
1917 : Grande Épicerie Lorraine
Le Printemps. Bibliothèque Forney
S’il y a bien un endroit où je ne pensais pas voir du patriotisme dans les catalogues de jouets de la Première Guerre Mondiale, c’est bien dans les épiceries, et pourtant voici la Grande Épicerie Lorraine ! Notons que guerre ou pas, elle propose des « Prix Très Modérés ».
Je vous recommande vivement d’aller regarder les catalogues de jouets dans l’ordre chronologique sur Gallica. Voir l’évolution au fur et à mesure, ça permet vraiment de se remettre dans le contexte historique, surtout sur les périodes de guerre. On voit l’actualité s’immiscer puis sortir des catalogues, c’est passionnant.
1922 : Le buffet
La Samaritaine. Scan maison.
Ce n’est pas l’épicerie la plus impressionnante du monde mais c’est surtout sa forme la plus courante, surtout dans les années 20. Elle se devait de figurer ici.
1937 : En Couleur
Au Louvre. Bibliothèque Forney
Fruit de 15 ans d’évolution du modèle du dessus, cette épicerie a eu la chance de connaitre la couleur grâce à son insertion sur l’arrière du catalogue. L’occasion de voir les différentes marques proposées à l’époque, Poulain, Graaf, Nescao, Menier, entre autres que je ne reconnais pas.
1937 : Période Charnière
Au Printemps. Bibliothèque Forney
La fin des années 30 marque l’arrivée des charnières. Les épiceries prennent un volume extraordinaire. On ouvre, on a l’intérieur, on ferme, on a la façade. Celle-ci est particulièrement originale et soignée avec son arrondi.
Un autre modèle magnifique vu sur eBay, avec deux maxi vitrines généreusement garnies, je pense même un peu trop pour que tout soit d’origine, mais j’adore.
900 euros, n’hésitez pas, les frais de port ne sont pas offert non plus.
À force de répéter que j’adore, vous vous demandez sûrement si j’en ai une ?
Et bien la réponse est OUI !
Bien sûr, elle est plus modeste, elle n’a ni store, ni volet, ni charnière mais représente quand même un joli intérieur en volume.
J’ai eu un énorme coup de cœur en la voyant. Je ne sais pas trop de quand elle date, peut-être les années 50 ou 60, vu la tapisserie. Je n’ai pas encore trouvé d’équivalent dans les catalogues, elle a un petit côté fait-maison, c’est peut-être pour ça !
Quand je l’ai eu elle était garnie de produits des années 70, je l’ai réassorti avec des produits des années 50/60 que j’ai trouvé sur une brocante lilloise dans une petite boîte à chaussures. Je me souviens que le monsieur à qui j’ai acheté les produits, comme la dame à qui j’avais acheté l’épicerie quelques semaines plus tôt, avait des étoiles dans les yeux en parlant. Moi aussi d’ailleurs. Personne ne voyait plus rien, c’était terrible.
1966 : Épicerie Moderne
Jouets Mont Blanc, Jouetrama. Jouetsdupassé
À l’arrivée du plastique, les épiceries vont redevenir beaucoup plus simple. Elle tiennent dans une boîte en carton et malgré l’appellation Épicerie Moderne sur le jouet, ce modèle a été vendu dans une boîte “Supermarché”. Nous sommes dans les années 60, la grande distribution fait sa révolution, les jouets suivent très rapidement et on va bientôt dire au revoir à ces petites épiceries entre la maison de poupée et la dînette.